Le concept de «manière» ne se traduit pas dans la langue uniquement à travers différentes formes syntaxiques appelées communément «compléments de manière» ou «adverbiaux de manière»(pour une amorce de réflexion critique sur ce type d’éléments, voir la présentation de ce numéro). Au-delà de sa réalisation syntaxique, la «manière» connaît une réalisation purement lexicale parce qu’elle constitue souvent une composante fondamentale du sens lexical des verbes (voir, entre autres, Levin 1993, 2008; Levin & Rappaport Hovav 1998; Beavers, Levin & Tham 2007; Jackendoff 1993; Fellbaum 2002; Talmy 2000; Slobin 1996, 2004, 2006; Herslund 2003). Plusieurs approches procédant à la décomposition du sens des prédicats verbaux font apparaître la «manière» comme une catégorie sémantique a priori indécomposable, voire comme une catégorie ontologique universelle faisant partie de la structure conceptuelle (cf. Jackendoff 1993: 48-56). Rares sont cependant les travaux qui se posent la question de savoir ce qu’est exactement la «manière».
Dans cet article1, nous nous proposons de montrer que la «manière» est une notion complexe, élaborée sur la base d’un ensemble de paramètres en nombre limité. La réflexion que nous mènerons ici trouve son origine dans le manque de clarté frappant concernant le statut catégoriel et la définition de la «manière» en linguistique. Force est de reconnaître en effet que, dans de nombreux travaux traitant de l’expression de la «manière» dans la langue, cette notion est pratiquement toujours utilisée de façon plus ou moins intuitive. Si l’on voulait résumer les définitions disponibles dans la littérature, on pourrait dire que la «manière» correspond, en gros, soit au mode de réalisation du procès, soit au mode d’existence d’une entité (cf. Flaux et Moline ici-même, Nilsson-Ehle 1941, Golay 1959, Molinier & Lévrier 2000). Le flou qui règne autour de la «manière» est d’autant plus gênant pour l’analyse linguistique